Un monde si vil usé |
Des gens sans qualité
particulière, quelconque, deviennent célèbres grâce à la télé. Les hommes
politiques nouvellement élus nous assurent, la main sur le cur, que tout sera fait
pour améliorer la vie quotidienne de leurs concitoyens. Avec Internet, on communique
instantanément avec des personnes habitant l'autre bout du monde. Et pour conclure en
beauté ce rapide aperçu de notre monde qu'on qualifie de " civilisé ",
plusieurs dizaines de familles, originaires de l'ancienne Yougoslavie, ont rejoint notre
beau pays afin de jouir des vertus énumérées dans la devise de la République
Française : " Liberté, Égalité, Fraternité ". Croyez-moi, cette devise leur
a été appliquée. Premièrement, ils ont librement choisi l'endroit où s'installer et construire un bidonville sans que personne ne les ennuie, au beau milieu d'un échangeur autoroutier. C'est cela la liberté. Deuxièmement, ils ont rapidement constaté que les pouvoirs publics les traitaient tous de la même manière, c'est-à-dire avec une totale indifférence. C'est cela l'égalité. Troisièmement, ces personnes ont enfin été aidées près d'un an après leur arrivée sur cet îlot de vie improvisé au milieu du flot de voitures. C'est cela la fraternité. Les personnes dont je parle sont, d'après ce que j'ai lu, des kosovars qui ont fui leur pays lors de la guerre et qui sont finalement arrivés dans notre pays. Ce ne sont pas des gens du voyage mais des gens comme vous et moi, qui avaient une maison, un travail, une famille et qui ont dû fuir leur ville. Ils n'ont plus rien d'autre que leurs voitures, les quelques objets qu'ils ont pu emporter et les baraques de bric et de broc qu'ils ont construites sur le terrain. Quand on s'étonne bêtement de l'endroit choisi pour poser leurs misérables valises, leur réponse nous fait honte : à l'endroit où ils sont, c'est-à-dire une bande de terre située entre deux autoroutes qui se rejoignent quelques dizaines de mètres plus loin, ils ne gênent personne ! Il n'y a pas de voisins pour se plaindre de leur présence et ledit terrain ne sert à rien. Après de multiples péripéties dans nos pays civilisés, ils ont compris que cet adjectif ne s'appliquait pas à la majorité des habitants de ces pays et qu'il valait mieux vivre en marge. Aussi, ils ont créé leur bidonville à l'écart de toute vie citadine mais au vu et su de milliers d'automobilistes (et donc de citoyens) parcourant chaque jour cet itinéraire. Le plus grand quotidien de la région, la Voix du Nord, s'est alors intéressé à leur cas, s'interrogeant sur leurs conditions de vie et les problèmes sanitaires qui se posaient. Quelques mois ont passé et le journal a fait un nouvel article qui dénonçait l'inaction des pouvoirs publics. Les ordures s'accumulaient à quelques mètres des baraques en tôle, il n'y avait pas d'installations sanitaires et aucun point d'eau, les enfants n'étaient pas scolarisés et un second hiver se profilait à l'horizon. Les services préfectoraux " réagissaient " enfin en annonçant qu'ils n'étaient pas au courant de l'existence de ce bidonville et qu'ils allaient contacter les services compétents. Inutile de dire que leur réaction est une honte et un mensonge. Une honte car les autres instances (DDASS, Conseil Général, Communauté Urbaine de Lille) s'étaient déjà déclarés incompétentes pour d'obscures raisons. En effet, pour rendre leur dignité à des êtres humains, il faut consulter les lois et être sûr et certain d'y être autorisé. Un mensonge car n'importe quelle personne travaillant ou habitant Lille ne pouvait ignorer l'existence de ce refuge, sans même parler des articles dans la Voix du Nord ou des tentatives avortées d'aider ces gens. Malgré cela, ils ont enfin reçu une assistance significative : les ordures qui s'entassaient ont été emportées et des bennes ont été installées ; des citernes d'eau ont également été installées et de l'eau est enfin disponible ; des WC de chantiers ont été déposés ; certains enfants reçoivent quelques leçons de français ; des associations caritatives les aident matériellement et la Préfecture leur a promis qu'ils pourront bientôt (courant novembre) s'installer sur le terrain d'une ville de la métropole lilloise, dans des mobils-home (mais le maire de cette ville a déjà fait connaître son mécontentement à propose de cette décision.). On peut dire que par leur résignation, leur volonté de ne pas " faire de vague ", de reconstituer, dans un no man's land, sans rien demander à personne, leur communauté à l'écart de tous et de tout, ces gens démontrent qu'ils n'attendent plus rien de nous, de nos institutions, de notre pays. A quel niveau de déshumanisation nos sociétés sont-elles arrivées pour que des personnes ne prennent même plus la peine de nous demander de l'aide, sachant pertinemment qu'elle leur sera refusée ou accordée avec mépris. Si ces gens se sont installés à cet endroit pour ne pas nous gêner matériellement, leur attitude aura eu au moins le mérite de nous gêner moralement (et de créer un sentiment d'indignation public), nous confrontant à notre égoïsme et à nos futiles préoccupations d'habitants de pays " civilisés ". |
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